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C’est un paradoxe apparent : la majorité des Français comprend bien que le pétrole, le gaz et le charbon sont la cause du changement climatique – et ne change pas pour autant de mode de vie. D’après la 25e vague du baromètre de l’Ademe, 62 % des Français sont très conscients du réchauffement, de ses causes et de ses risques. Pourquoi est-ce si difficile de faire le lien entre la compréhension du danger climatique et les efforts à fournir ?
« On peut globalement dire qu’on est très conscient du problème, mais est-ce qu’on est conscient des solutions et de leur efficacité ? », note Mélusine Boon-Falleur, chercheuse en sciences cognitives et enseignante à Sciences Po Paris, dans le podcast « Chaleur humaine ». C’est justement la mission que s’est fixée le Festival des idées « Chaleur humaine », organisé le samedi 14 décembre à Paris, au Théâtre de la Ville. (Toutes les informations sont à retrouver ici)
Le baromètre de l’Ademe en atteste : imaginer que les Français n’ont aucune idée de ce que signifie diviser par cinq nos émissions de CO2 d’ici à 2050 pour tenir les objectifs de l’Accord de Paris afin de conserver la planète sous les 2 °C de réchauffement, serait faire fausse route. Ils sont 58 % à penser que les solutions « pour limiter le changement climatique » reposent sur une « modification importante de nos modes de vie ». Un score qui interroge sur le sentiment d’immobilisme généralisé en la matière. « Il y a un vrai décalage entre la question de principe et la question pragmatique. La transition, c’est compliqué, c’est un domaine où les gens sont pleins de contradictions : ils ont bien compris que les énergies fossiles étaient un vrai problème, mais, dans la pratique, ça accroche », analyse Daniel Boy, politiste et coordinateur du baromètre depuis un quart de siècle.
Pour illustrer cette discordance, le politiste cite ainsi la question de la mobilité : les transports représentent plus du tiers de nos émissions. Quand on pose la question des actions individuelles pour le climat que les enquêtés font déjà − trier ses déchets, baisser son chauffage, ne plus prendre l’avion pour ses loisirs ou diminuer la consommation de viande du foyer… −, l’utilisation des transports en commun à la place de la voiture ou la pratique du covoiturage ou de l’autopartage arrivent en bas de la liste. « Et sur cette question, la taille de la commune, qui n’a pas d’effet sur les autres actions proposées, devient la première variable : dans les petites communes, vous n’allez pas faire du Blablacar pour aller faire vos courses, tirer de l’argent ou emmener les enfants à l’école ! », souligne Daniel Boy qui pointe l’instabilité des discours sur les véhicules électriques comme la faiblesse et la versatilité des dispositifs d’aide à l’achat. « Les gens sont paumés », lâche-t-il. Globalement, cette année, pour dix actions individuelles vertueuses pour le climat proposées sur seize, l’enquête montre une diminution des réponses « je le fais déjà ». Le début d’une démobilisation ? Moins du tiers des personnes interrogées déclarent d’ailleurs « faire leur maximum » pour réduire leurs émissions. Sauf chez les ménages très modestes, où la part est plus importante : 44 % ont ce sentiment.
A l’inverse, le baromètre montre que les enquêtés attendent beaucoup des politiques publiques. Développer les énergies renouvelables, interdire la publicité pour les produits à fort impact sur l’environnement, taxer les véhicules polluants, rendre obligatoire une offre de menus végétariens dans les cantines, taxer le transport aérien… toutes ces mesures, déjà jugées souhaitables par une large majorité, remporte une adhésion croissante. Qu’elles soient décidées en haut lieu, suffirait-il à mettre l’ensemble de la société sur les rails de la transition écologique ? Tout dépend de la manière. C’est à cette question de méthode qu’essaye de répondre une récente note de recherche de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), intitulée « Quand on peut, on veut », inversant le proverbe bien connu qui fait reposer le destin des individus sur leur volonté.
« L’idée dominante aujourd’hui, c’est que les gens disposent de l’information et vont donc agir, c’est pratique et on aimerait que ça marche, mais dans la vie réelle, ça ne se passe pas comme ça, les modes de vie ont de multiples contraintes : les infrastructures du lieu où l’on vit, l’offre de produits, les normes sociales, les capacités financières des gens… », analyse Mathieu Saujot, directeur du programme Modes de vie en transition à l’Iddri et coordinateur de l’étude. Au cœur de cette dernière réside l’idée qu’il est nécessaire de prendre en compte la diversité des groupes sociaux et de dessiner en conséquence une diversité de trajectoires vers la transition écologique. La possibilité de modifier son alimentation par exemple dépend du nombre de magasins alentour, de l’existence de produits végétaux pratiques à cuisiner dans les rayons, de la différence de prix entre le bio et le conventionnel, de l’acceptabilité de cuisiner un repas de Noël sans viande.
D’après les chercheurs, il incombe donc aux pouvoirs publics et aux entreprises de prendre en compte tous ces paramètres pour permettre aux gens de faire des choix climatiques dans leur consommation de biens et de services. « Quand on se cantonne à une logique centrée sur la responsabilité du consommateur, on n’embarque que des gens convaincus, ceux qui ne peuvent pas ou ceux qui ne sont pas écolos ne suivent pas, une approche par les modes de vie permet d’embarquer tout le monde », prévient Mathieu Saujot. Laisser des gens sur le bord du chemin vers la transition aurait, à l’inverse, des effets délétères. « Les injonctions au changement, quand celui-ci ne peut pas être mis en œuvre, créent de la frustration : non seulement ça ne marche pas mais ça crée du désarroi politique, c’est donc très dangereux », conclut-il.
Cécile Cazenave
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